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au Grand Théâtre de Beyrouth' |
LE
PROJET: Hommage au Grand
Théâtre de Beyrouth |
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par Pierre Hage
Boutros |
L'espace de quelques
jours le Grand Théâtre de Beyrouth, ordinairement inaccessible,
a rouvert ses portes et nous a parlé non pas du théâtre
qu'il a été autrefois, ni du cinéma mal famé
—étonnante métaphore— qu'il est devenu par la suite mais
de nous-même et de notre ville. |
Car le héros
du spectacle monté par le metteur en scène Gilles Zaepfel
et présenté du 26 au 29 octobre a été, sans
conteste, le Grand Théâtre lui-même. Non pas un personnage
abstrait, une idée de ce qu'il a autrefois été, mais
cette réalité matérielle qu'il est aujourd'hui. |
Le public a été
bouleversé par cette expérience. Ceci ne provient ni de la
beauté architecturale du bâtiment, ni de la beauté
plastique du spectacle : il y a, il est vrai, dans le spectacle des moments
où le lieu s'exprime physiquement et nous sommes touchés
— le reste malheureusement est discours rhétorique, ajout accessoire.
Il faudrait néanmoins signaler la qualité remarquable de
la chorale de l'Association des Jeunes Arméniens, le professionnalisme
des étudiants de l'atelier de recherche de l'ALBA, la prestation
de Elie Karam, celle émouvante de Renée Dick ainsi que la
voix prometteuse de la jeune soprano, Nadine Nassar. |
Il reste que
pour celui qui sait écouter le lieu, le Grand Théâtre
nous apprend trois choses: |
Fragment rescapé
au milieu du grand chantier de ce qu'on appelle le Centre Ville, il donne
la mesure de ce qui existait avant la table rase : sur lui nous lisons
notre passé dans son intégralité et cette authenticité,
cette transparence, est absolue. Pas de censure. Les Beyrouth successifs.
La période du mandat, celle de l'indépendance, le boom économique
des années soixante, vingt ans de déchirement, sept ans de
chantier. Tout cela est manifeste dans les murs, la lumière particulière
et parcimonieuse, la manière d'être de l'espace — cette manière
d'être en représentation qui caractérise Beyrouth—,
les ajouts, les graffitis, la poussière, les dégâts,
les couches de peinture superposées les unes aux autres, les souvenirs
des spectateurs qui enfin se souviennent et racontent. |
Il rappelle à
ceux qui l'avaient oublié que la ville n'est à nous que lorsque
nos traces y sont présentes et lisibles. |
Ceux même
qui n'avait jamais connu le Grand Théâtre, c'est-à-dire
la génération des moins de trente ans, furent remués.
Car lire un fragment d'une ville c'est lire la ville dans son ensemble,
lire son propre destin. |
Il nous dit enfin
que notre ville se meurt —dying if not already dead— mais aussi que nous
avions même oublié son existence, oublié même
que nous avons oublié, perdu comme nous l'avons été
à débattre avec des mots vides comme Nostalgie, Mémoire,
Avenir, Centre, Reconstruction... |
Il est paradoxal
que Gilles Zaepfel, qui a pu faire que ce lieu rouvre ses portes, est lui-même
étranger à notre ville. Le nouveau territoire où traîne
encore le Grand Théâtre de Beyrouth ne nous appartient plus.
Il faut maintenant penser la manière de se l'approprier à
nouveau. Et à ceux qui pensent que le pays n'est pas que la
ville nous montrerons la montagne éventrée, cimentée,
désertifiée, les cèdres amputés, les villages
disloqués... |