"Majdaloun" ne se situe plus sur un point d'idéal d'un faux front de guerre. Le débat est engagé depuis hier entre un Etat qui, visiblement, se défait (et ne veut pas le savoir) et un jeune Liban qui ne sait pas encore comment se faire. M. Bahige Takieddine, quand il actionne ou couvre ses censeurs, fait son métier. Il fait son métier de ministre : il le fait d'ailleurs (et le propos et le ton le montrent assez), sinon avec mauvaise conscience, avec une conscience hésitante. Cette société qu'il défend, cette "certaine image du Liban" qu'il prétend sauvegarder, le ministre de l'Information est trop lucide pour ne pas voir qu'elles sont - à terme - condamnées. Mais c'est ici justement son drame: quel autre Liban les contestataires lui offrent-ils ? Avant de consentir à faire sauter ce qui est, il aimerait encore connaître la figure du nouveau Pouvoir. Si libéral, si ouvert, si généreux qu'il se veuille, M. Takieddine estime qu'il n'a pas le droit de se faire complice de l'aventure. Il ne peut être bon pour personne de laisser s'aggraver un désarroi et nourrir une révolte qui ne peuvent déboucher que sur le chaos. Que nous disent les autres ? (Et nous ne savons pas s'il le disent, mais nous savons ce qu'ils pourraient dire et, avec ou sans leur permission, nous le dirons pour eux.) Ils disent, comme tous les contestataires, que la contestation a sa vertu en soi - sa fin en soi - et qu'aucun chaos ne peut être pire que ce qui est. Ils disent qu'on ne bâtit pas une société, un ordre, sur un mensonge. Le fondement confessionnel du Pouvoir pouvait avoir sa justification il y a 50 ans, dans un Liban attaché à ses valeurs religieuses ; il avait sa vérité et sa dignité ; mais où la dégradation commence, où tout devient subitement faux, c'est quand on prétend prolonger un confessionnalisme sans foi. Si le Dieu des Libanais n'est pas formellement mort, il est de plus en plus absent de nos comportements et de nos démarches. " L'âme n'y est plus. " Et ce qui subsiste du confessionnalisme, ce sont les passions primaires, c'est la peur et la haine - et c'est l'exploitation éhontée qu'en font les meneurs de jeu dans l'un et l'autre camp.
C'est cela. D'abord, qu'ils récusent; et l'avilissement de l'autorité qui en découle, la corruption généralisée d'une administration, et la débâcle d'une classe dirigeante qui a définitivement perdu le sens du respect. - Pour bâtir, disent-ils, il faut d'abord dynamiter cela.
[Georges Naccache, L'Orient, 26 avril 1969]
(1) Pièce de théâtre montée par Roger Assaf et qui fut interdite par les autorités.
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