C'est ainsi que Watt put identifier l'objet qui pendant tout ce temps lui
avait tenu compagnie. C'était une chaise. Elle lui tournait le dos. Peu à
peu à mesure que la lumière croissait, il fit avec cette chaise si ample
connaissance qu'à la fin il la connaissait mieux que maintes chaises sur
lesquelles il s'était assis, ou était monté, quand l'objet se trouvait hors
de sa portée, ou avait posé les pieds, l'un après l'autre, pour les
chausser, ou pour faire leur toilette, en curant et en rognant les ongles et
en curetant les entre-doigts, avec une cuiller. (...)
Un de ses pieds était vissé au plancher, à l'aide d'un crampon, ou cornière.
Non pas un seul mais tous les autres pieds, portaient des fers semblables,
sinon identiques. Non pas qu'un seul mais tous ! Mais les vis qui sans doute
jadis avaient fixé ceux-ci au plancher, on avait eu l'amabilité de les
retirer. (...)
Cette chaise était restée donc avec Watt, pendant tout ce temps, dans la
salle d'attente, pendant toutes ces heures, heures presque sans lumière,
heures sans lumière, et elle restait encore avec lui encore, dans l'aube
exaltante. Il ne serait pas impossible, après tout de l'enlever, et de la
mettre ailleurs, ou de la vendre aux enchères, ou d'en faire cadeau.
A part cette chaise, pour autant que Watt pût voir, tout n'était que mur, ou
plancher, ou plafond.
[Watt, Samuel Beckett, Les Editions de Minuit]
|
|