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DOSSIER: Répertoire des Inscriptions des Camions (arabe) format
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par
Karim Kassis - architecture d’intérieur IV |
Les
moyens de transport de nos villes offrent à notre regard un inventaire
de calligraphies diverses et bigarrées et de peintures bariolées.
Du traditionnel “ayn el-houssoud la tasoud” aux phrases personnalisées
et parfois plus inventives, l’ensemble de ces textes et images révèle
une manière d’être du groupe social (les routiers), ses angoisses
et ses croyances, sa conception de l’amour et ses fantasmes. |
Pour
un routier, le camion est plus qu’un objet fonctionnel, c’est le lieu ou
il vit. Il va donc chercher à personnaliser cet habitat ambulant
en le décorant comme on décore un appartement, et en le bichonnant
comme on bichonne une monture. Le camion a d’ailleurs remplacé les
moyens de locomotion traditionnels tels le cheval et le chameau dont le
propriétaire prenait un soin fou et jaloux. Naguère, le nombre
de montures illustrait le pouvoir de leur propriétaire, et leur
beauté était un objet de fierté. Dans le monde moderne,
le camion, qui a remplacé la monture, est orné de verroteries
et de plumes qu’il porte avec panache. |
Mis
à part les inscriptions qui révèlent la croyance en
Dieu, d’autres textes viennent rappeler combien est ancrée la croyance
au mauvais oeil. Aussi, le conducteur, sentant sa puissance fragilisée
par les dangers de la route auxquels son métier l’expose constamment,
tente d’écarter cette néfaste action en portant sur son camion
des dessins prophylactiques: cheval, fer à cheval, main de Fatima,
et même des yeux apposés sur le camion! Cette manière
de se protéger est l’héritage des amulettes et autres porte-bonheur
que l’on apposait sur les animaux afin de les préserver du mal (danger,
accidents, maladies...). |
En
dehors de la miséricorde divine, de l’éducation morale et
de la croyance du mauvais oeil, les véhicules qui parcourent la
ville sont avant tout le support privilégié de l’expression
de fantasmes et de sentiments non avoués. Les inscriptions lèvent
le tabou dans une société ou l’amour libre est banni, d’où
les appellations féminines des véhicules. Le camionneur exprime
son manque et ces phrases enchanteresses portent à la confusion,
puisqu’on se demande si elles s’adressent à la voiture ou à
la femme aimée! |
Alors
que les camionneurs sont fort loquaces sur les plans affectif et spirituel,
le silence est de rigueur sur quand on en vient à la politique.
Les seules expressions relevées ont un contenu patriotique et expriment
l’attachement au pays. |
Il
faudrait aussi savoir que cette habitude de personnaliser son camion n’est
pas l’apanage du Liban, ni du monde arabe. Dans de nombreux pays (d’Asie
et Amérique Latine notamment) les camions sont décorés
de l’intérieur comme de l‘extérieur. Cette pratique est toutefois
menacée par des impératifs économiques. Le nombre
de routiers possédant leur propre véhicule diminue au profit
de ceux qui deviennent employés d’une grande entreprise de transport,
utilisant telle ou telle voiture. Les inscriptions perdent alors leur raison
d’être et sont entre-temps remplacées par le logo de la société
propriétaire. Cette institutionnalisation de la pratique risque
de faire disparaître tôt ou tard ce moyen d’expression particulier
qu’est la carrosserie des camions sur laquelle viennent s’inscrire, comme
non dit, nos inquiétudes et nos rêves. |