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LES PROJETS: Machines Célibataires | bien fonds 1237: l'architecte, le vernaculaire, et le franc-tireur
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par Christian Delacampagne*
Je suis loin d’être, comme on dit, un « professionnel » de l’art contemporain, et encore moins un spécialiste du Liban. Mais je m’intéresse à l’un aussi bien qu’à l’autre. Et c’est pourquoi votre travail collectif (j’emploie ici le terme « collectif » pour désigner, faute de mieux, l’ensemble des étudiants de l’ALBA que vous avez associés à votre projet, et qui ont à leur tour contribué à lui donner son visage final) m’a si profondément touché. 
Ce travail, en effet, prend pour point de départ un objet architectural si chargé de valeurs symboliques qu’il est en quelque sorte déjà entré dans la légende: le célèbre «Immeuble Barakat», situé sur cette rue de Damas qui fut pendant quinze ans la ligne de démarcation coupant Beyrouth en deux. Comment parler de ce lieu, comment le donner à voir (ou à rêver) sans sombrer dans la nostalgie ou (ce qui revient au même) dans l’idéalisation? La tâche était difficile, la voie étroite. Vous avez cependant réussi à éviter ce double écueil, tout en offrant aux visiteurs de votre « installation » la possibilité de déchiffrer, à l’intérieur de celle-ci, trois «objets» différents (au moins), correspondant d’ailleurs à des axes de lecture qui ne sont nullement incompatibles. 
D’abord, un document anthropologique (qui n’a rien d’un documentaire) sur une période critique mais cruciale de l’histoire du Liban contemporain, marquée par d’immenses destructions dont la trace est encore visible à la fois dans la topographie de la ville et dans celle des mémoires. Un témoignage, ensuite, à verser au dossier du débat sur l’avenir de la ville de Beyrouth (l’un des plus vastes chantiers urbains du monde actuel), débat dans lequel vous faites entendre une voix critique et interrogative, qui tranche intelligemment avec les pseudo-certitudes de ceux qui veulent tout détruire sous prétexte de reconstruire du «moderne», ou au contraire tout restaurer à l’identique – les uns comme les autres, sans véritable réflexion préalable. Enfin, au-delà de ces deux aspects, votre travail constitue également (et sans doute devrais-je dire: d’abord) une authentique création artistique, une création à plusieurs voix, nourrie de l’imaginaire commun à toute la génération qui a grandi dans la guerre, mais susceptible de toucher des êtres humains partout dans le monde – dans la mesure où ses enjeux implicites (la question de la guerre et de la paix, de la vie et de la mort, de la frontière et du passage, du privé et du public, du respect de l’autre, de la tolérance, de la mémoire, etc.) sont, tout simplement, des enjeux universels.
New York, le 22 septembre 2000, tous droits réservés
*auteur de L’Aventure de la peinture moderne, 1988; Outsiders: fous, naïfs et voyants dans la peinture moderne, 1989; De l’indifférence. Essai sur la banalisation du mal, 1998; La Philosophie politique aujourd’hui, 2000.
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